En sortant d’une salle de réunion située à l’étage « Folio » de Gallimard, je me suis arrêtée devant l’un des petits cartons « Servez-vous » qui ponctuent les couloirs de la maison de la rue Sébastien-Bottin. Outre la biographie d’André Malraux – que je n’ai jamais lue -, je me suis emparée d’un petit bouquin de Yannick Haenel, dont je me souvenais d’avoir aimé Cercles il y a des années de cela. Profitant d’un grand moment d’oisiveté sur la ligne 4, je commence distraitement à feuilleter ma nouvelle trouvaille. Stupeur et tremblement en déchiffrant le tout premier paragraphe : « C’est l’époque où je vivais dans une voiture (…). Ca me plaisait d’être là, dans la rue, sans rien faire. Je n’avais aucune envie de démarrer (…). Je me sentais bien sous les arbres, rue de la Chine. La voiture était garée le long du trottoir, en face du 27 ». C’est-à-dire en bas de chez moi.
Après avoir été expulsé de sa chambre de bonne, le personnage principal, Jean Deichel, se retrouve à vivre dans sa R18 break pendant de longs mois, les tours du quartier Saint-Blaise comme horizon. Ses cartons rangés dans le coffre, avec un papyrus comme confident, il devient quelqu’un d’autre, dans ce nouvel intervalle de vie dont l’épicentre est son cocon automobile. Douches à la piscine des Tourelles, café aux Petits Oignons, bières à Belleville, Jean Deichel ne « devient que promenade », faisant des cercles autour de la rue de la Chine et en traquant les graffitis du renard pâle, dieu des Dogon dont lui a parlé une jeune femme rousse bien alcoolisée. Toute la 2e partie du livre, beaucoup plus politique, est consacrée à ces fameux renards pâles, et pour être tout à fait sincère, j’ai trouvé ça assez barré. Rue de Belleville, il va rencontrer ce groupe de sans-papiers qui portent des masques dogon et aiment faire des orgies de vodka au Père-Lachaise façon magie noire. Vie des exclus, identité perdue… les thèmes se juxtaposent et les métaphores s’enchaînent lourdement. En bref, à lire pour les 114 premières pages.